Dimanche 14 juin 2015. Rassemblement solidaire avec la lutte contre la maxi prison et tous ceux et celles qui se battent contre le pouvoir

PDF. Appel au rassemblement solidaire

Solidaires avec la lutte contre la maxi-prison et tous ceux et celles qui se battent contre le pouvoir

Parce que le combat contre la construction d’une maxi prison dans cette ville qui court vers toujours plus de contrôle et de répression, est une lutte auto-organisée et autonome. Elle sort du cadre légal imposé pour s’attaquer directement à ceux qui veulent la construire et à leur logique. Par la parole et l’action directe, par le sabotage et la manif sauvage, à beaucoup et à quelques uns, de jour comme de nuit.

Parce qu’on soit à l’office des étrangers, dans les bureaux de l’ONEM, à l’école, au boulot, en taule ou psychiatrisé, il est assez clair que nos vies nous sont volées et que le conflit est inévitable si nous désirons reprendre nos vies en main.

Parce que si la police antiterroriste a fait des perquisitions dans quatre maisons de compagnonnes et au Passage, point de coordination dans la lutte contre la maxi prison ce mercredi dernier, c’est pour semer la peur et freiner ces combats – mais il est hors de question que nous retournions à la maison : nous ne baisserons pas les bras.

Parce que la meilleure défense c’est l’attaque, face à la volonté du pouvoir de faire de la ville une prison à ciel ouvert, c’est en semant le trouble dans leurs moyens de nous contrôler que nous continuerons d’agir.

Parce que face aux horreurs du pouvoir, aux massacres qu’il commet, à l’exploitation sur laquelle il repose et à l’enfermement auquel il condamne toujours plus de gens, affirmons la joie de lutter librement, la fierté des idées qui s’opposent
à leur monde et la solidarité entre ceux et celles qui chérissent toujours le rêve d’un monde débarrassé du pouvoir.

(PS : Journaliste ? Politicien ? Reste chez toi !)

Repris de http://www.lacavale.be/spip.php?article229

Aux incontrôlables

PDF. Aux_incontrolables

L’ordre doit régner  : c’est la devise de tout pouvoir. Et son ordre, on le connaît : ses massacres aux frontières, son exploitation au travail, sa terreur dans les prisons, son génocide dans les guerres, son empoissonnement dans nos poumons, sa dévastation de tout ce qui est beau et libre, son idéologie dans nos cerveaux et son avilissement dans nos cœurs. Et à Bruxelles, le pouvoir est passé à la vitesse supérieure. Que ce soient les magasins pour les eurocrates ou les nouveaux lofts pour riches, les flics qui se multiplient comme des lapins ou les caméras qui sortent du sol comme des champignons, les nouveaux centres commerciaux ou l’aménagement urbain pour renforcer le contrôle, le message est clair : l’ordre doit régner et les pauvres, les exclus, les sans-papiers, les criminels, les révoltés, nous sommes indésirables dans cette ville, nous ne sommes bons qu’à obéir, qu’à courber le dos ou crever.

Aujourd’hui, un des projets phares du pouvoir à Bruxelles, c’est la construction de la maxi-prison, la plus grande prison de l’histoire belge. L’ombre de ses murs et le désespoir de ses cachots menaceront tous ceux qui galèrent pour survivre dans ce monde, qui ne reste pas dans les rangs qu’impose ce monde, qui se révoltent contre l’oppression. Un endroit lugubre pour mettre à l’écart les indésirables, ceux qui nuisent à la marche rayonnante de l’économie et du pouvoir ; un endroit qui reflète toutes ces bâtisses où se concrétise la violence du pouvoir, comme les centres fermés pour clandestins, les hôpitaux psychiatriques, les commissariats… – et, pourquoi pas, les centres commerciaux, les institutions, les rues des villes devenues des vastes annexes d’une énorme prison à ciel ouvert.

Se battre contre cette maxi-prison, c’est donc reprendre goût à la liberté. Empêcher sa construction, c’est frapper la marche du pouvoir vers toujours plus de contrôle et de soumission. Saboter sa réalisation, c’est ouvrir des horizons de lutte qui rompent avec la résignation qui est la meilleure allié des puissants. Mais nous ne sommes pas dupes ni naïfs. Lutter contre cette maxi-prison, c’est donner bataille à tout ce qu’elle représente, une bataille qui ne se laisse pas cantonner à la légalité, mais se munit de toutes les armes qu’elle juge adéquates. C’est une bataille à mener par nous-mêmes, de façon auto-organisée et autonome, sans partis politiques ou organisations officielles, sans politiciens élus ou en devenir.

Les dernières années de lutte contre cette maxi-prison a été un parcours parsemé d’initiatives de lutte dans les quartiers de Bruxelles (loin de projecteurs des médias et de la puanteur des institutions), d’actions directes contre les responsables de ce projet (entreprises de construction, architectes, ingénieurs, politiciens, policiers, bureaucrates) et de sabotages aux quatre coins de la ville et de la Belgique. Incontrôlables, car ne se tenant pas aux limites imposées par ce pouvoir démocratique, ingérables, car émergeant de l’initiative libre n’obéissant à aucune hiérarchie, ingouvernables, car refusant tout dialogue avec le pouvoir afin de recréer les espaces du vrai dialogue libre entre personnes en lutte. Trois caractéristiques qui ne sauraient être compatibles avec aucun pouvoir, et qui en cela ont la douce saveur et l’orgueilleux charme de la liberté. Trois caractéristiques qui peuvent faire irruption dans tous les conflits sociaux en cours, partout où se dessine la ligne de démarcation entre le pouvoir et ceux qui s’y opposent, dans la vie de chacun et de chacune.

Et tout cela ne plaît pas au pouvoir. Cela ne lui plaît pas qu’on le dise, qu’on en parle, qu’on le propose, qu’on agisse dans ce sens. S’il y a à peine quelques semaines les journalistes déversaient des tonnes de merde sur cette lutte contre la maxi-prison (et donc contre toute personne qui lutte de façon auto-organisée et autonome contre le pouvoir), le mercredi 10 juin 2015, c’étaient les policiers fédéraux qui défonçaient tôt le matin les portes de quatre maisons de compagnons en lutte et du Passage, local de lutte contre la maxi-prison à Anderlecht, pour perquisitionner et séquestrer les paroles de révolte que le pouvoir ne saurait tolérer. Une répression dont l’objectif est clairement de chercher à freiner cette lutte qui réussit, par la parole et par le geste, par le tract et par le feu, par l’action directe et par l’attaque, de jour comme de nuit, à beaucoup ou à quelques uns, à se frayer un chemin. Cet manœuvre de la flicaille reflète la répression qui est le quotidien de tous les indésirables à Bruxelles et dans le monde entier : des tortures dans les commissariats aux assassinats dans les prisons, des réfugies noyés dans la Méditerranée aux gens épuisés et crevés par le travail et l’asphyxie marchande.

Si le pouvoir sème la peur pour mieux contrôler et régner, « c ’est reculer que d’être stationnaire » : affirmons donc la joie de lutter librement, la fierté des idées qui s’opposent à leurs œuvres morbides et la solidarité entre ceux et celles qui chérissent toujours le rêve d’un monde débarrassé du pouvoir. Continuons les hostilités contre tout ce qui nous étouffe.

ON NE RECULE PAS – ATTAQUONS LA MAXI-PRISON, SES CONSTRUCTEURS ET SES DÉFENSEURS

COURAGE ET DÉTERMINATION A CEUX ET CELLES QUI LUTTENT CONTRE LE POUVOIR ET POUR LA LIBERTÉ

Perquisitions de la Police Fédérale pour freiner la lutte contre la maxi-prison

Ce mercredi 10 juin 2015 un peu avant 6h du matin, différentes équipes de l’anti-terrorisme ont perquisitionné 4 domiciles où habitent des compagnonnes ainsi que le local de lutte contre la maxi-prison “le Passage”. Ces perquisitions ont été effectuées dans le cadre d’une opération nommée “Cavale”.

6 compagnonnes ont été embarquées aux bureaux de la Police Fédérale, puis relâchées autour de 13h après avoir été auditionnées… Auditions auxquelles personne n’avait rien à dire.

Au-delà de l’informatique et des téléphones, l’attention des flics a spécialement été portée sur tout ce qui était propagande (revues, journaux, affiches,…) qui était épluchée et souvent emmenée.

Pour ce qu’on en sait pour le moment, ces arrestations font suite à une enquête ouverte en 2013 pour “incitation à commettre des actes terroristes” et “participation à une organisation terroriste”. Cette enquête est dirigée par le juge d’instruction De Coster.

LA PERMANENCE DU PASSAGE SERA ASSUREE ce mercredi à partir de 17h, et un POINT INFO est prévu à 19h.

Toujours en lutte contre la prison et le monde qui va avec.

La Lime, caisse de solidarité bruxelloise

Au pays des démocraties

PDF. Au pays des democraties

« La question – dit Alice – est de savoir si vous avez le pouvoir
de donner tant de significations différentes aux mots.
La question – dit Humpty Dumpty – est de savoir
qui commande, voilà tout. »

Alice, idéaliste un peu ingénue, est en train de se demander ces jours-ci s’il est possible que le mot « terroriste » ait un autre sens, dictionnaire historico-éthique en main. Humpty Dumpty, matérialiste un peu mal dégrossi, lui répond que vu que c’est l’Etat qui commande, et vu que le langage appartient à celui qui commande, alors « terrorisme » signifie ce que veut l’Etat. Voilà tout.
Dans les années 70, l’Etat accordait l’appellatif de « terroriste » à quiconque lui contestait le monopole de l’utilisation de la violence, c’est-à-dire employait des armes à feu ou des explosifs, surtout contre les participants d’organisations combattantes particulières, surtout si ces organisations étaient l’expression d’un plus vaste mouvement de contestation, surtout si cette contestation visait à déclencher une révolution. Pour l’Etat, c’étaient surtout ceux qui l’attaquaient les armes à la main qui étaient des « terroristes ».
A présent que les organisations armées particulières ont presque entièrement disparu, que les arsenaux subversifs sont désespérément vides, que les mouvements de contestation empruntent rarement des dimensions considérables, qu’ils ne posent (presque) jamais la question révolutionnaire, Alice voudrait pouvoir en déduire que l’Etat a renoncé à l’utilisation de ce terme, le considérant incompréhensible à quelques exceptions sporadiques près. La définition de « terroriste » appliquée à celui qui prenait gendarmes et magistrats pour cible plutôt qu’adressée à celui qui massacrait travailleurs pendulaires et passants lui était déjà insupportable, mais en somme… vous savez comment sont les gens, lorsqu’ils voient du sang couler ils prennent peur et deviennent confus. On peut alors supposer qu’il n’a pas été trop difficile pour la propagande de jouer sur cette méprise, de démoniser le régicide et pas le tyran. Mais aujourd’hui, basta, après avoir assisté au cours de ces dernières décennies à une aussi triste baisse de funérailles institutionnelles, finissons-en avec l’épouvantail du « terrorisme » !
Eh bien non. En cette époque si dépourvue d’ « ennemis extérieurs » crédibles mais en même temps en manque de consensus solides, lorsqu’il n’est plus resté personne pour l’applaudir, l’Etat a décidé de prendre de l’avance, de ne pas attendre l’apparition de quelque menace subversive pour déployer la machine de guerre de la rhétorique anti-terroriste : mieux vaut prévenir que réprimer. Mais prévenir qui de faire quoi  ? Comme l’affirmait un fin connaisseur de l’art de gouverner, « tandis que les individus tendent, poussés par leur égoïsme à l’atonie sociale, l’Etat représente une organisation et une limitation. L’individu tend continuellement à s’évader. Il tend à désobéir aux lois, à ne pas payer les impôts, à ne pas faire la guerre. Peu nombreux sont ceux — héros ou saints — qui sacrifient leur propre moi sur l’autel de l’Etat. Tous les autres sont en état de révolte potentielle contre l’Etat. »
C’est peut-être pour cela que l’Etat s’est permis de définir « terroriste » quiconque le critique, le contrecarre, s’oppose à lui, sans trop faire de distinction entre la signification des mots et la nature des faits ? Parce que, à part les saints à prier et les héros à décorer, tous les autres seraient de potentiels rebelles ?
« Mais cela n’a pas de sens !  ». Bien sûr que non, douce Alice, mais garde toujours en tête qui est-ce qui commande. Voilà tout.

 

Comment cela a commencé

2001 sera une année difficile à oublier, pour le tournant qu’elle a marqué. Ne serait-ce que parce que les événements de cet été-là, en l’espace de quelques semaines, ont contribué à changer la vie quotidienne de millions de personnes. Après les torrides journées de fin juillet à Gênes, où les manifestations contre le sommet habituel des Grands de la Terre ont été ensanglantées par un massacre généralisé, est arrivé un second mardi de septembre qui a vu se produire le plus incroyable attentat contre des lieux du pouvoir économique et militaire jamais advenu sur le sol des Etats-Unis. Critiqués théoriquement et pratiquement par des mouvements sociaux et radicaux d’un côté, attaqués militairement par des groupes intégristes de l’autre, il n’est pas surprenant que les gouvernements occidentaux dans leur ensemble aient décidé de dépouiller leurs formalismes légaux en les modifiant afin de pouvoir plus facilement neutraliser leurs contestataires.
De fin 2001 à aujourd’hui, on a assisté dans de nombreux pays à une augmentation des lois répressives, à une véritable restructuration du droit en mesure de garantir, sinon la paix des marchés, au moins la tranquillité des rues. Si la menace du « terrorisme » reste l’épouvantail de prédilection grâce auquel justifier un contrôle toujours plus envahissant de la vie sociale, mais aussi une limitation incessante de la liberté individuelle, ça n’est toutefois pas leur seul instrument. Quel que soit le prétexte adopté pour les mettre à jour, il semble clair que les différentes mesures législatives tendent non seulement à se conformer à une directive générale unique, mais également à être appliquées à tout terrain jugé sensible. Le blocage administratif des sites internet par exemple, a commencé avec la bataille contre la « pédopornographie », mais sera bientôt étendu à celui de l’ « anti-terrorisme ». Et à leur tour, même les mesures de sécurité particulières ne se limitent pas non plus à prévenir un seul genre de délit (l’acquisition par la SNCF de nombreux drones à disséminer de long des voies viseront certainement à contrecarrer d’éventuels vols de câbles en cuivre, comme cela a été officiellement annoncé, mais sera sans aucun doute aussi utile dans la prévention des sabotages). Et ainsi de suite.
Pour l’instant, bien que cela puisse être intéressant, cela n’a pas beaucoup de sens de faire ici un inventaire des différentes mesures prises en Europe dans le cadre de la lutte contre le terrorisme. Notamment parce que, de l’incrimination de certains syndicalistes de base italiens coupables de n’avoir pas tenté d’arrêter les black bloc en 2001, en passant par la mise en accusation de plusieurs adolescents anglais attrapés en possession de livres de recettes anarchistes en 2007, jusqu’à arriver à la condamnation à 7 ans de prison d’un islamiste français rentré d’un bref séjour en Syrie en 2014 —pour ne donner que quelques exemples— on risquerait de se perdre dans un labyrinthe dont l’objectif serait de nous pousser tous vers une seule sortie possible : une inéluctable obéissance aveugle et passive. Il nous semble plus intéressant de nous efforcer de comprendre ce qui trotte dans la tête des défenseurs de l’ordre social, et d’en lire en contrepoint les principales préoccupations.

 

L’Etat s’équipe

Il faudrait avant tout réussir à s’enlever de la tête une idée autant facile que confortable. Que ce qui est en train d’arriver en termes de privation de liberté est sans précédent, que nous sommes face à une criminalisation inouïe explicitement dirigée contre des mouvements de lutte. Ce n’est pas vrai. Nous sommes face à la praxis de base de n’importe quel gouvernement, dirigée contre tout le monde, et visant à la normalisation forcée de la vie, à sa codification institutionnelle, à sa standardisation technologique. Le libertaire ne peut et ne doit plus être libre de protester, tout comme le libertin ne peut et ne doit plus être libre de s’exciter : protestation et excitation doivent être contrôlées, elles ne doivent pas sortir des schémas pré-établis. Les instruments technologiques modernes dont dispose l’Etat a rendu cette imposition possible, et donc pensable, et en cela faisable, et enfin capillaire. Ce n’est que notre mémoire à portée limitée qui rend cette imposition incroyable et impressionnante. Ni plus, ni moins.
Le “Patriot Act” et les Guantanamo en tout genre à travers le monde ne peuvent nous choquer si on pense que lorsque les Etats-Unis entrèrent en guerre contre l’Allemagne en ce lointain avril 1917, s’ouvrit une des périodes les plus noires de l’histoire nord-américaine, où tous ceux qui ne démontraient pas leur ferveur patriotique inconditionnelle étaient traqués et emprisonnés. Il se déclencha alors une véritable chasse aux sorcières dont le sommet fut atteint entre novembre 1919 et février 1920, une période lors de laquelle la police envahissait les domiciles de milliers de personnes, arrêtant tous ceux qui s’y trouvaient. Les rafles étaient menées sans suivre le moins du monde les termes de la loi. Les hommes et les femmes étaient arrêtés sans mandat, tabassés brutalement dans les rues, traînés et enfermés dans des centres de détention pendant des semaines et des mois sans avoir la possibilité de prévenir famille ou avocat. Parfois, jusque ceux qui s’avisaient de visiter les prisonniers passaient à leur tour derrière les barreaux, sur la base de la fameuse théorie que seul un subversif peut se préoccuper du sort d’un subversif. Au cours de ces quatre mois-là s’ouvrirent des procédures pour déporter 3000 immigrés. Sur ce total, 800 (dont pas mal d’anarchistes) furent au final réellement expulsés, bien que quasi aucun d’entre eux n’avait auparavant été condamné pour avoir commis le moindre délit. Un célèbre professeur de droit de l’époque expliquait : « quand tu es en train de chercher à protéger la communauté contre des rats moraux, parfois tu dois plus penser à l’efficacité du piège qu’à sa construction respectueuse de la loi. »
A un siècle de distance, où est la différence de fond ? Les rats moraux américains se croisent avec la racaille française, ou avec les tiques italiennes, dans une exécration commune par les gens biens, qui rassemblent dans un même sac tous ceux qui ne s’agenouillent pas devant ce monde, dont l’unique liberté autorisée est la consommation effrénée de marchandises. L’Etat est en guerre contre eux, non pas depuis aujourd’hui, mais depuis toujours. Et l’ « anti-terrorisme » est sans aucun doute une de ses armes principales, à utiliser au mieux sans trop se poser de questions de cohérence historique. Pour le comprendre, on pourrait aussi rester ici, dans la vieille Europe.
L’Etat espagnol, par exemple, n’a pas eu besoin d’attendre le 11 septembre 2001 pour étendre la conception la plus banale de « terrorisme » —celle qui requiert la présence d’une organisation armée particulière— à toute une série d’actes qui se produisent lors de désordres sociaux. L’article 577 du code pénal en vigueur au pays des incarcérations « incommunicados » les a frappés dès 1995. Cela va des blessures contre des personnes aux menaces, de l’incendie à la dégradation, et tout cela sans plus devoir appartenir à une véritable bande armée. Il suffit d’avoir « l’intention de subvertir l’ordre constitutionnel ou de perturber sérieusement l’ordre public », ou de poursuivre ces fins en effrayant non seulement les habitants d’une communauté urbaine, mais aussi les « membres de groupes sociaux, politiques ou professionnels ». De la même manière, la législation ibérique prévoyait déjà la punition de l’ « exaltation du terrorisme » à travers toute forme d’expression publique, c’est-à-dire toute incitation ou « justification » d’accomplir des actes considérés comme terroristes, mais aussi toute approbation de ceux qui s’en rendent responsables. Sont également condamnables depuis longtemps, en plus des menaces, « les insultes et perturbations sérieuses du fonctionnement des assemblées locales », provoquées par qui manifeste son soutien à des groupes de « terroristes ». On le voit, il s’agit de définitions tellement élastiques qu’elles peuvent être appliquées à n’importe quel mouvement minimalement combatif. Il suffirait de faire irruption dans un conseil municipal pour insulter les politiciens qui sont en train de voter en faveur d’un projet nuisible, ou de faire des barrages routiers pour en arrêter les travaux. Nous sommes en train de parler du même Etat qui au cours des années 80, sous un régime socialiste, donc de gôche, a créé un escadron de la mort qui a commis 28 assassinats contre de présumés militants d’ETA. On n’est pas en train de parler d’un petit et lointain pays d’Amérique Latine, mais de la grande et proche Espagne européenne, qui a il y a peu sorti une « loi sur la sécurité citoyenne » privilégiant la facile sanction administrative plutôt qu’une répression judiciaire souvent plus compliquée. Les amendes seront divisées en trois classes et pleuvront contre quiconque “perturbe” la paix publique.
Venons-en à aujourd’hui et lançons donc un coup d’oeil du côté de la terre des droits de l’homme, de la patrie de la révolution, du berceau des Lumières : la France. Ici, le gouvernement a fait passer de nouvelles lois anti-terroristes qui introduisent des nouveautés significatives. Elles font par exemple place nette à un obstacle qui entravait souvent les enquêtes, la nécessaire présence d’une association de malfaiteurs. A travers l’instauration juridique de l’ « entreprise terroriste individuelle », même les loups solitaires pourront être enfermés en cage sans trop de difficulté (jusqu’à 10 ans de prison, plus des amendes jusqu’à 150 000 euros). Ils ne devront même pas être surpris en flagrance de qui sait quel délit, vu qu’il suffira qu’un individu singulier possède ou recherche de potentiels moyens (comme des produits pour allumer des cheminées ou du sucre ?), cherche et surveille de possibles objectifs (comme passer devant des banques ou des casernes ?), lise des sites web suspects (comme ceux de contre-information ?) pour être condamnable. Les législateurs français nomment cela la « neutralisation judiciaire préventive ». Quant aux actes en question, un loup solitaire n’aura besoin de dévorer personne, il lui suffira de causer de simples « dégradations » pour être traqué comme « terroriste ». La nouvelle législation française en la matière prévoit aussi d’augmenter les peines contre l’ « apologie de terrorisme », qu’elle soit circonscrite à des espaces privés (3 ans de prison et 45 000 euros d’amende) ou se déroule dans des espaces publics (5 ans de prison et 75 000 euros d’amende). Dans ce cas, l’usage d’internet sera considéré comme une circonstance aggravante (jusqu’à 7 ans de prison et 100 000 euros d’amende). Bien sûr, il est aussi prévu le « blocage administratif » des sites qui salueront les actions directes ou défendront certaines luttes, en tant que coupables d’ « apologie de terrorisme ».
Ces mesures étaient déjà en discussion avant le massacre de la rédaction de Charlie Hebdo, après lequel elles ne pourront qu’empirer. Sur la vague d’indignation suite au massacre, non seulement les rues de Paris se sont remplies d’hommes en uniforme en chasse aux suspects, mais on assisté entre indifférence et embarras (avec quelques faibles protestations) à une répression frappant liberté de pensée et de parole. Plusieurs personnes ont été poursuivies et certaines déjà condamnées à de la prison ferme juste pour avoir exprimé leur avis pas vraiment de condoléances envers les victimes.
A ce propos, rappelons qu’en mai dernier, 32 pays ont ratifié le protocole européen en la matière, le CECPT (Council of Europe Convention on the Prevention of Terrorism) dont l’article 5 définit l’ « apologie de terrorisme » comme « la diffusion ou toute autre forme de mise à disposition du public d’un message, avec l’intention d’inciter à la commission d’une “infraction terroriste”, lorsqu’un tel comportement, qu’il préconise directement ou non la commission d’infractions terroristes, crée un danger qu’une ou plusieurs de ces infractions puissent être commises. » C’est donc n’importe quel message qu’il s’agit de réprimer, et qui, même sans soutenir directement la perpétuation de délits, crée le risque que quelqu’un puisse passer à des voies de fait contre le pouvoir. En dehors de la propagande la plus servile, silence ou c’est la prison !
En ce qui concerne plutôt le piratage informatique — c’est-à-dire « l’accès frauduleux à un système de traitement automatisé de données, l’entrave à son fonctionnement ou l’introduction, suppression ou modification frauduleuse de données » —, il est prévu dans la nouvelle législation française la circonstance aggravante de « bande organisée ». Cela signifie que, par exemple, les activistes d’Anonymous risqueront une condamnation à 10 ans de prison et 1 000 000 d’euros d’amende. De plus, en vue d’empêcher la circulation au-delà des frontières des aspirants martyrs de la guerre sainte, mais applicable également aux défenseurs de la guerre sociale, a été institué une interdiction administrative de sortie du territoire pour les impulsifs déjà fichés, avec retrait du passeport et de la carte d’identité pour une période de 6 mois renouvelables à l’infini.
Et puisque les normes en la matière tendent à devenir communes au niveau européen, il est facile de supposer qu’on attendra pas longtemps avant de se sentir un peu tous comme chez Marianne. Le gouvernement italien a depuis quelques jours approuvé un décret-loi qui prévoit non seulement la fermeture des sites qui soutiennent la guerre (sainte ou sociale ? simple question de détail) contre ce monde, mais aussi l’incarcération de ceux qui iront combattre à l’étranger (comme le font à présent certains islamistes ou comme le faisaient surtout dans le passé de nombreux révolutionnaires ?). Peut-être pourrait-on se transférer dans la Suisse neutre et civilisée, ce pays bizarre où la police prélève l’ADN des subversifs directement sur les affiches collées ou les tracts distribués.
Prévenir, prévenir, encore prévenir.

 

Consensus et obéissance

Il existe une profonde différence dans la manière abordent la question de comment maintenir le pouvoir. La gauche recherche le consensus, et pour ce faire privilégie les bonnes manières. La droite exige obéissance, et pour ce faire recourt à la force. La première est cordiale, elle aime inspirer confiance, elle est hypocrite. La seconde est rosse, souvent odieuse, mais plus sincère. Etant des sœurs siamoises, deux faces du même organisme, pour connaître la vraie nature de la chose, mieux vaut s’adresser à ceux qui ne passent pas par quatre chemins. Il est suffisamment connu qu’il n’existe pas d’amis sincères, il n’y a que des ennemis sincères.
Voilà pourquoi il est inutile de prêter trop attention aux discours des beaux esprits qui voudraient préserver l’état de droit du gouffre de ses exceptions. Leurs pleurnicheries habituelles, si prévisibles, on les connaît désormais par cœur. Pour comprendre où veulent aller les maîtres du monde actuels, mieux dont démocratie et totalitarisme, gauche et droite vaut retenir son souffle et poser l’oreille contre la bouche de leurs bulldogs. L’un d’entre eux est le juriste allemand Günther Jakobs, qui a horrifié ses collègues humanistes en défendant et motivant ouvertement les raisons selon lesquelles « les terroristes n’ont pas de droits ». Selon Jakobs, la rupture du pacte social, la transgression de la loi peut faire perdre à l’individu son statut de citoyen. Par le passé, cette thèse avait déjà été défendue dans les cas de haute trahison (par Hobbes) ou dans les cas de menace permanente contre la sécurité (par Kant).
Le droit pénal court toujours sur deux rails distincts, celui qui dialogue et inclut d’un côté, et celui qui neutralise et exclut de l’autre. Si celui qui enfreint la loi est considéré comme récupérable, l’Etat le considérera comme un simple délinquant qui préserve toutefois ses droits de citoyen. Bien que celui-ci ait violé une norme, il ne nie pas radicalement la loi. Mais quant au transgresseur de la loi par conviction, quant à celui qui se pose en dehors de l’ordre social en le menaçant constamment, devenant ainsi non plus un simple désobéissant sporadique mais un véritable adversaire de l’Etat, le même traitement ne peut s’appliquer. Et cela, selon le juriste teuton, parce que ce dernier n’offre pas de « garantie cognitive » suffisante, c’est-à-dire une capacité et une disponibilité à reconnaître les règles institutionnelles. Ce n’est pas un délinquant à punir, c’est un ennemi à éliminer. Il ne doit pas non plus être considéré comme une « personne », c’est-à-dire un sujet avec lequel il est encore possible pour l’Etat de dialoguer, et c’est donc une guerre qui doit être menée contre lui. Exactement comme contre un ennemi (ou contre des groupes de rats moraux ou de tiques).
Avec une impeccable cohérence logique, Jakobs précise que si un individu n’offre pas la garantie d’une repentance possible, « l’Etat ne doit pas le traiter comme une personne, parce que dans le cas contraire il léserait le droit à la sécurité des autres personnes ». Face à des individus qui ne reconnaissent pas l’ordre juridique, l’Etat doit appliquer le droit pénal en vigueur contre l’ennemi : un droit qui concerne le futur (pour neutraliser des dangers) et pas le passé (pour réaffirmer la validité d’une norme).
Herr Jakobs parle clairement et explique pourquoi nous sommes en train d’assister, dans le cadre du droit, à un décrochage entre le fait jugé en soi et la peine appliquée. Après que quelques participants aux affrontements de rue contre la police à Gênes en 2001 aient été condamnés à plus de 10 ans de taule, on ne peut pas être étonnés si, aujourd’hui, même celui qui de l’intérieur de sa chambre communique son dissensus contre l’Etat à travers un ordinateur connecté à internet court le risque d’aller en prison. En suivant cette pente, le fait qu’un manifestant soit tué par une grenade en 2014 est presque une conséquence inévitable. Non pas dans le dangereux désert syrien, mais dans une placide campagne française.
Parce que si l’Etat regarde le futur, que voit-il ? Des cracks économiques, un chômage de masse, un épuisement des ressources, des conflits militaires internationaux, des guerres civiles, des catastrophes écologiques, des exodes, de la surpopulation… Il voit en somme un monde toujours plus dangereux, toujours plus pauvre, suintant de désespoir, qui se transforme en énorme poudrière, en proie à des tensions en tous genres (sociales, ethniques, religieuses). Un monde où l’allumage de la moindre étincelle, quelle qu’elle soit, ne doit pas être tolérée. Si l’Etat veut préserver l’ordre, s’il veut protéger sa propre sécurité, il ne lui reste qu’une voie : fermer tout espace de mouvement, surveiller toute forme de liberté, ficher tout individu. Même s’il n’est pas menacé par une forme adverse, l’Etat ne peut que se faire totalitaire. Une nécessité rendue facile à satisfaire par la technologie moderne, qui lui permet de ne plus avoir à remplir les rues du bruit des bottes. Des millions de personnes marcheront au pas, mais sur la pointe des pieds et dans le silence des pantoufles, lui permettant de préserver des apparences plus démocratiques. Et notamment parce que l’Etat peut toujours compter sur cette sujétion intérieure qui impose aux individus d’accepter de leur propre gré, quasi avec soulagement, toute procédure policière (comme cela arrive dans certains cas de viol, où des villages et quartiers entiers se soumettent volontairement au prélèvement ADN pour éviter d’être suspectés).
S’il est vrai que le droit ne détermine pas les rapports sociaux mais les reflète, alors on peut s’interroger sur ce qu’est en train de devenir l’être humain, sur ce que nous sommes tous devenus. Et de commencer à en tirer les conséquences, sans se réfugier dans la tradition ou dans la mitopoièsi [création de mythes].

 

Quelles conséquences

A la fin du 19e siècle passèrent en France une série de lois destinées à éradiquer un mouvement anarchiste dont étaient issus Ravachol et Auguste Vaillant, Emile Henry et Sante Caserio. Des mesures si dures qu’elles sont passées à l’histoire comme les « lois scélérates ». Un terme facile à retenir, parce que facile à comprendre. Sont scélérates les lois brutales, mauvaises, exagérées. Celles qui ne doivent pas être confondues avec les lois belles, bonnes, justifiées. Avec les lois normales, en somme. On pourrait presque dire avec les lois justes.
Et voilà, nous y sommes. Si pour une fois on était sincère, peut-être en étant seul, devant une glace, sans personne à qui rendre de comptes, on pourrait admettre que, bien qu’on critique l’Etat, bien qu’on hurle notre haine contre sa férocité et sa violence, on ne croit pas jusqu’au bout à nos propres mots. Nous sommes les premiers à ne pas croire à nos idées. Oui, dans les grandes lignes, en général… puis, en pratique, allez… il s’agit souvent d’exagérations !
En théorie, nous sommes doués pour démontrer comment il n’existe pas de différence de fond entre totalitarisme et démocratie, que ce sont deux formes alternatives du pouvoir qu’un régime peut emprunter selon les circonstances. Nous sommes habiles pour observer comment la réduction de l’être humain à un simple numéro se concrétise dans le tatouage sur le bras des prisonniers du nazisme comme dans les codes pénaux sur les pratiques des prisonniers de la bureaucratie. Nous sommes capables de disserter sur la similitude et la continuité entre les anciens barrages routiers de la police et les modernes caméras de vidéosurveillance. Nous sommes disposés à noter combien la biométrie ou les bases de données ADN auraient fait la joie des SS. Mais, en pratique, à quel point y croyons-nous et sommes-nous conséquents ? Nous regardons nos frigos pleins (pour combien de temps encore ?), nous regardons dans le canapé le match de football, nous mettons nos habits sans tâches de sang, et pendant que nous nous apprêtons à aller au bar, on se dit : non, ce n’est pas la même chose.
Ainsi, lorsqu’on voit un Etat durcir sa législation pour se protéger contre ceux qui n’obéissent pas, toute notre théorie radicale consciente disparaît et on retombe droit dans l’indignation pratique démocratique. Alors on va creuser dans le droit, ce droit qu’on pointait la veille encore comme un pur mensonge, en quête de fantomatiques vérités trahies ou suspendues. On dénonce des états d’exception afin de prétendre au rétablissement d’états de droit.
Pensons, à un autre niveau, aux grandes discussions faites depuis quelque temps sur un rapport de l’OTAN qui remonte à 2003, un rapport qui prendrait en compte l’emploi de l’armée dans des opérations urbaines avant 2020. Certains l’ont lu attentivement, analysé, étudié, vivisectionné, pour ensuite en sortir des résultats épatants : l’armée sera aussi utilisée dans nos rues ! Pas seulement dans le passé et le présent, mais aussi dans le futur. Et la nouveauté, en quoi consisterait-elle ? Certainement pas dans son utilisation lors de possibles explosions insurrectionnelles. Si on laisse tomber les tanks anglais à Belfast, vus comme troupes d’occupation, que dire des blindés à chenilles à Bologne en 1977 (ou dans la bien plus tranquille Voghera en 1983 au cours d’une manifestation réprimée y compris par les unités spéciales) ? Et les militaires qui patrouillent depuis des années, mitraillette en bandoulière, dans les lieux “sensibles” de certaines métropoles ?
Peut-être s’agit-il uniquement d’une question d’approche informative. Peut-être l’évidence est-elle que la meilleure manière de communiquer avec les autres —ces autres qui ne sont pas subversifs— est d’en partager le langage légaliste, l’étonnement humanitaire, les revendications réformistes, les entraves démocratiques. Comme si, afin d’entraîner les masses, on tentait d’abord de les harponner, de s’immiscer à l’intérieur pour les arrimer solidement. Mais, ce faisant, on ne fait que bercer ses illusions, répéter ses hallucinations, confirmer ses fantasmes.
Pour les somnambules dormants modernes, est venu le temps des réveils brutaux, non pas des suaves murmures ou des guides illuminés à l’intérieur de leurs lieux communs. S’il reste encore quelque chose à communiquer, si on ne veut pas se taire pour ne pas apporter son propre grincement au brouhaha contemporain, alors il ne reste qu’à hurler notre vérité inconfortable.
Celle qu’il n’existe aucune dérive totalitaire, mais seulement un passage à la seconde vitesse dans ce que l’Etat —n’importe quel Etat— considère comme le droit chemin de l’exercice du pouvoir.

 

Les points sensibles

L’été dernier, Anthony Glees, enseignant en sécurité et renseignement à la Buckingham University, a déclaré : « Nous avons tenté de faire de l’extrémisme quelque chose pour lequel il ne vaille pas la peine de courir des risques, mais malgré tout cela, nous continuons encore d’évidence à générer des djihadistes. Je suis arrivé à la conclusion que nous avons été trop sensibles au lobby des libertés civiles —des gens qui affirment que nous sommes une société multiculturelle et que deux ensembles de valeurs fondamentales peuvent rester avec bonheur assises côte à côte au Royaume-Uni. Nous avons permis que des personnes aillent en vadrouille un peu partout pour prêcher l’extrémisme et la violence avec l’excuse de la religion et de la liberté de parole. »
Le fort peu sympathique professeur anglais n’a pas tous les torts. C’est vrai, malgré la menace de la répression, ce monde misérable continue de produire des insatisfaits, des enragés, des rebelles, prêts à s’insurger pour des raisons les plus variées. C’est vrai, deux ensembles différents de valeurs fondamentales (comme celles liées à l’autorité et celles liées à la liberté) ne peuvent rester de façon heureuse côte à côte. C’est vrai, on ne peut plus permettre qu’il y ait des personnes allant en vadrouille pour prêcher la violence (du capitalisme) avec l’excuse de la liberté de parole. Il faudrait commencer à y remédier.
Dans le langage bureaucratique qu’on peut entendre dans les palais de verre de Bruxelles, derrière le sigle EPCIP se cache le « Programme européen de protection des infrastructures critiques ». Actif depuis des années, « le plan d’action pour l’EPCIP est organisé autour de trois volets principaux : le premier porte sur les aspects stratégiques et l’élaboration de mesures applicables horizontalement à tous les travaux en matière de protection des infrastructures critiques (PIC) ; le deuxième concerne la protection des infrastructures critiques et vise à réduire leurs vulnérabilités ; le troisième s’inscrit dans un cadre national et a pour vocation d’aider les États membres à protéger leurs ICN (Infrastructures Critiques Nationales). Ce plan d’action est évolutif et doit être examiné régulièrement. »
La raison de cette consultation permanente entre gouvernements est vite dite : « Les acteurs concernés doivent partager les informations concernant la protection des infrastructures critiques, notamment les questions relatives à la sûreté des infrastructures critiques et les systèmes protégés, aux études sur les liens de dépendance, à la vulnérabilité liée à la PIC et à l’évaluation des menaces et des risques. Dans le même temps, il faut veiller à ce que les informations partagées, qu’elles soient exclusives, sensibles ou à caractère personnel, ne soient pas divulguées et que toute personne traitant des informations confidentielles ou sensibles soit soumise à une procédure d’habilitation adéquate par son État. » Et pourquoi ? Parce que « étant donné le degré d’interconnexion et d’interdépendance des économies modernes, l’arrêt ou la destruction d’une infrastructure européenne pourrait entraîner des conséquences pour les pays à l’extérieur de l’Union et vice versa. Il est indispensable donc de renforcer la coopération internationale en ce domaine, par le biais de protocoles d’accord sectoriels. »
Il reste donc à comprendre ce qu’on entend par « infrastructures critiques ». Ce sont : « les installations physiques et des technologies de l’information, les réseaux, les services et les actifs qui, en cas d’arrêt ou de destruction, peuvent avoir de graves incidences sur la santé, la sécurité ou le bien-être économique des citoyens ou encore le travail des gouvernements des États membres. » Vu l’importance de protéger de telles infrastructures, les bureaucrates européens se sont tout de suite mis au travail et ont diffusé une première directive qui, dans sa première phase, « se réfère explicitement aux secteurs de l’énergie et des transports. »
Energie et transports : voilà les points sensibles de la domination. Parce que ce sont eux qui permettent techniquement la reproduction de l’existant, dans lequel on peut distinguer la production, la circulation et la consommation de données et de marchandises, mais aussi le fonctionnement de tout genre de machines. Sans énergie et sans transports, la vie quotidienne telle que nous la connaissons —celle au service de l’Etat— s’enrayerait, ralentirait, s’arrêterait. Une interruption de ces flux, surtout de façon prolongée et étendue, pourrait provoquer un effet domino aux résultats imprévisibles, comme le disent ces rapports.
A partir du moment où rien ne serait plus comme avant, tout deviendrait possible. Quelle terrible perspective !

[Publié en italien sur Finimondo.org février 2015]

Sur le banc des accusés

PDF. Sur le banc des accuses

« Cependant les boutiquiers de Paris,

en faisant leur étalage, l’autre matin,

se sont dits avec leur robuste bon sens:

Il n’y a pas la moindre erreur, on veut saper

les assises de nos monuments séculaires,

nous sommes en face d’un nouveau complot.

Allons, allons, braves boutiquiers !

vous errez aux plaines de l’absurde.

Songez un peu que la conspiration dont

vous parlez n’est pas nouvelle ;

s’il s’agit de jeter bas les édifices vermoulus

de la société que nous haïssons,

il y a longtemps que cela se prépare.

C’est notre complot de toujours. »

Zo D’Axa, 1892

 

Comment ça, la répression ?

Nous vivons dans un monde où toute structure de la société, tout mécanisme, tout rapport social a aussi une fonction répressive. On n’aurait guère de problèmes à démontrer que les forces strictement répressives (la police, l’armée, la Justice et ses prisons) ne sont en effet qu’une petite colline face à la montagne de l’ensemble de la société oppressante. Si l’on définit la répression comme le mouvement qui nous empêche, nous décourage et nous punit de faire des choses qui risquent d’ébranler l’ordre économique, social et moral, il est facile de percevoir comment toutes les institutions démocratiques empêchent l’auto-organisation sociale, comment l’idéal d’un amour en camisole décourage des liens affectifs sans brides et comment l’économie punit toute tentative de bannir l’argent hors de sa vie. Ainsi, la répression ne saurait être réduite au seul bras armé de la domination, même au moment où celui-ci frappe à la porte des subversifs.

Lorsque ce « bras armé » toque à la porte de compagnons avec son arsenal judiciaire, carcéral et policier, l’Etat ne tente pas uniquement de freiner la diffusion d’idées et de pratiques subversives ou d’essayer de mettre « hors circulation » quelques éléments encombrants. Il cherche aussi à nous amener sur le terrain stérile de l’affrontement entre les forces répressives strictes et le courant subversif, un affrontement certes inévitable, mais qui risque souvent de nous bloquer sur un seul obstacle (la répression des compagnons), nous empêchant ainsi de continuer à courir « dans toutes les directions ». Affronter la répression spécifique contre des compagnons sur le terrain qu’elle-même pose, revient alors à creuser sa propre tombe.

D’ailleurs, en quoi la répression qui nous touche serait-elle détachée de la répression qui touche la société en général ? On pourrait dire que tout un chacun ne trouve certes pas des caméras cachées chez lui, mais cela ne saurait nous faire oublier que la vidéosurveillance est désormais partout. On pourrait dire que tout un chacun n’a certes pas à se défendre contre des accusations d’association terroriste ou autre, mais n’en est-il pas moins vrai que de larges couches sociales se font condamner à la chaîne, soit devant un juge, soit par les instances de l’ordre social, moral et économique, parce que le fait de chercher à vivre, voire d’exister, donne déjà lieu à une répression permanente ? Il n’est pas difficile de prévoir que dans le monde actuel, toujours plus instable et où les tensions sociales sont toujours moins gérables qu’elles n’ont pu l’être dans le passé récent, la répression ira croissant. La construction de toutes sortes de nouvelles prisons n’est qu’un signe manifeste de toute une tendance qui a le vent en poupe.

 

La dangerosité sociale

Mais hasardons-nous maintenant sur le terrain de la répression spécifique contre des luttes autonomes et des individus qui se battent pour la liberté. Parfois, les arrestations de compagnons, la répression d’une lutte, la diffusion de menaces à peine dissimulées contre ceux qui ne sont pas prêts à enterrer la hache de guerre, amènerait à croire que nous serions dangereux. Dangereux pour l’ordre établi, comme est classé l’anarchisme depuis quelques années en Belgique, considéré comme « la menace la plus importante et la plus diffuse pour la sûreté du pays », sur la bonne voie car objet d’une répression ? De telles croyances proviennent tout simplement d’un manque de conviction dans ses propres idées, d’une carence de perspectives, car elles s’amusent à reprendre à leur propre compte les paroles de la domination. A l’inverse, il n’est malheureusement pas rare de constater que, dans le courant subversif même, des bruits courent sur certains lieux, certains compagnons, certains terrains de lutte qui seraient dangereux, qu’il faudrait mieux éviter, parce qu’ils attirent la répression et autres conneries de la sorte. Dans les deux cas, la même « échelle de mesure » est utilisée : celle de la morale dominante et des lois en vigueur. Ou pire encore, une échelle « militaire », qui voit la subversion comme la somme d’attaques attribuables à tel courant ou à telle tendance ; échelle malheureusement trop fréquente, chez les légalistes et réformistes, comme chez les « subversifs » autoritaires. Que disait déjà cette citation ? : « On voit les lucioles parce qu’elles volent la nuit. Les anarchistes font de la lumière aux yeux de la répression, parce que la société est grise comme la pacification. Le problème, ce n’est pas la luciole, mais bien la nuit. »

Le danger et la dangerosité sont bien ailleurs. C’est la menace souterraine qui traverse les siècles et tous les visages que la domination a pu prendre : la menace d’une explosion sociale, de la subversion de l’existant. Inutile, et aussi pernicieux pour sa propre dignité, de cacher que les activités et les idées des subversifs antiautoritaires ciblent à encourager, faire éclater, défendre, répandre la subversion et donc la nécessaire insurrection, forcément violente et négatrice des lois et des morales. Et l’Etat cherche à réprimer, persécuter, étoufferce qui le met en danger. La menace n’est donc pas une centaine d’anarchistes, mais la diffusion toujours possible et imprévisible d’idées et de pratiques subversives que nous portons. La menace, la dangerosité, c’est la contagion qui se met à l’œuvre ou qui, du moins, reste toujours possible. D’où l’évidence que la meilleure solidarité, consiste à continuer à diffuser des idées et des pratiques subversives, au-delà de toute échéance judiciaire ou étatique. Et aussi que la meilleure défense contre la répression n’est pas de constituer une quelconque puissance imaginaire qui y ferait face (dans la logique de l’affrontement symétrique, imprégnée d’une vision militariste et hiérarchique de la subversion), qu’il ne s’agit pas simplement (ou mieux, pas tant) de s’approprier des techniques et des savoir-faire pour la contourner, mais bien de perspectives de lutte, d’idées approfondies, de la recherche sociale de complicité dans le refus et dans l’attaque de ce monde. En fait, on pourrait extrapoler cette question afin de mieux la saisir : une insurrection (dans le sens anarchiste, c’est-à-dire, comme phénomène social) peut-elle être vaincue de manière militaire par les forces répressives ? La « réussite » d’une insurrection dépend-elle du nombre d’armes et de « troupes » à notre disposition ? Ou les raisons des « défaites » des insurrections ne sont-elles pas plutôt à chercher dans le manque de perspectives antiautoritaires, de « fermeté » dans le refus de toute sorte de chef ou encore, dans la peur de l’inconnu de la liberté ? La répression des insurrections, tout comme leur explosion; la répression des insurgés, tout comme la contamination du tissu social par leurs idées et pratiques, n’est jamais qu’un fait militaire, mais avant tout social. Et de nombreuses conséquences découlent d’une vision antiautoritaire de cette question, qui est au fond essentiellement celle de la transformation révolutionnaire de l’existant.

 

Sur le banc des accusés…

De nombreuses personnes conçoivent la Justice (les lois, les tribunaux, les procès) exclusivement comme une institution, c’est-à-dire, un bastion du pouvoir dans le marécage social. Néanmoins, toutes les institutions se fondent à part égale, voire prépondérante, sur le consentement social. Elles sont des expressions des rapports sociaux existants, mieux, ce sont des rapports sociaux. C’est-à-dire que l’Etat, d’un point de vue subversif, n’est pas quelque chose d’extérieur au tissu social, il en fait partie comme il le structure à son tour. Prendre possession de l’Etat signifie alors vouloir perpétuer les rapports sociaux qui le fondent et en découlent ; le détruire, c’est chercher une autre base, un autre fondement (la liberté) pour les rapports sociaux. L’argent, comme institution, ne peut exister que parce que la société entière lui octroie de la valeur ; et réciproquement, l’argent conditionne les rapports entre les gens. Une redistribution plus équitable de l’argent ne changerait au fond rien aux rapports que son existence génère, le brûler signifie entamer la construction d’un monde où l’économie ne détermine plus les rapports entre les gens, mieux, où la logique économique (commerce, travail, accumulation, productivisme) est repoussée. La pénétration de la marchandise dans toutes les sphères de la vie donne d’ailleurs un autre bon exemple de la coïncidence entre les structures répressives et les rapports sociaux tels qu’ils existent aujourd’hui.

Cette prémisse posée, asseyons-nous un instant sur le banc des accusés. Comment pourrait-on soutenir que dans le tribunal rien n’a d’importance (en ce qui concerne notre attitude), sans en même temps ouvrir les portes pour affirmer que rien n’a d’importance dans n’importe quelle structure de la société ? Si le tribunal, comme l’usine, la maison communale ou le foyer familial, sont des structures répressives dans le tissu social, il devient intenable de prétendre que notre attitude, notre activité et nos idées n’y ont aucune importance. Dire devant un juge qu’on regrette de lutter pour la liberté ne diffère fondamentalement pas de dire à un homme qui nous maltraite qu’on l’aime – à moins que l’on croît que la subversion est une question de posture, de camouflage, de postiche, de sournoiserie. Renoncer à ses idées au nom de la tactique et de la stratégie (au-delà du fait de ne pas toujours crier sur tous les toits qui on est et ce qu’on pense pour des raisons de « discrétion » que peuvent requérir certaines activités, comme par exemple la réalisation d’un sabotage, une vie dans la clandestinité), dans un tribunal comme dans la rue, équivaut à leur ôter toute potentialité subversive, à les désamorcer – exactement ce que la répression cherche à obtenir. Ceci dit, il n’existe pas de recettes ni d’axiomes à appliquer ou à respecter dans la confrontation avec le tribunal, il n’y a que la cohérence entre ce qu’on pense et comment on se comporte, ce qu’on désire et comment on lutte. Cette cohérence ne peut être totale que dans le sens où notre individualité est une exigence totale, autrement dit, c’est une tension permanente qui palpite au rythme de notre vie même. Tout le reste, n’est que le rebut de la politique.1

Affirmer que nous ne reconnaissons ni « culpabilité » ni « innocence », que nous refusons tout juge, tout tribunal, car nous sommes ennemis de toute loi et donc pour toute transgression qu’inspire notre désir de liberté, n’est donc en rien un jeu tactique, mais justement une expression de cette tension vers la cohérence. La solidarité cesse ainsi d’être un simple réflexe antirépressif pour devenir la possibilité d’une complicité, dans le sens où nous sommes tous et toutes « coupables » de nos idées et des pratiques qui en découlent.

 

 

L’ami de mon ennemi ne peut jamais être mon ami

A force de considérer la Justice non pas comme un rapport social comme tous les autres rapports sociaux, on finit par assister aux plus sales jeux tactiques. Inutile de souligner que dans la plupart des procès, rares sont ceux qui cherchent à ne pas rentrer dans la logique de la Justice, qui refusent d’enterrer leur dignité devant le juge, qui ne balanceront d’aucune manière (dans de nombreux cas, cela revient aussi à refuser de dire si on a oui ou non commis un tel méfait). Malheureusement, il n’est pas rare qu’il en aille de même pour les ennemis déclarés de l’ordre établi quand ils se trouvent devant un tribunal. Là, il n’est pas rare que l’opportunisme et la politique font leur rentrée sur scène. On voit alors que la cohérence de refuser de s’allier et de passer des accords avec des forces politiques philo-institutionnelles ou autoritaires, est « provisoirement » mise au rebut au nom de la pression sur le juge, du besoin d’une solidarité large et diverse, du chantage moral de vouloir faire sortir les compagnons à tout prix (mais, en étant un peu méchant, on pourrait dire, sans pour autant risquer soi-même sa liberté). Tout d’un coup, les ardentes critiques des « droits » et des « devoirs » s’échangent contre des alliances indigestes avec quelque ligue des droits de l’homme ; la négation de l’économie et de l’argent est mise de côté pour profiter du soutien d’un syndicat, gestionnaire de la conflictualité sociale et des forces de travail ; le refus du spectacle et de la représentation se transforme en accueil d’un journaliste « qui fera pression » ou en acceptant les rôles existants (chacun à sa place et tous ensemble dénoncer démocratiquement les abus) par exemple en publiant une « lettre ouverte » dans un quotidien de la presse officielle. Que dire ? L’autorité ne saurait être combattue avec des moyens autoritaires, voilà une affirmation simple qui reste d’actualité.

Par une telle recherche d’alliances, on ne violente pas seulement ses propres idées et les parcours de lutte qui se sont dessinés et qui se dessineront encore, on n’hypothèque pas seulement les possibilités de rencontre et de complicité au niveau social (les exploités sont bel et bien aussi habitués à l’hypocrisie, mais celle-ci ne constitue pas un sol fertile pour la rencontre et pour une lutte commune entre individus rebelles). On se place en outre irrévocablement sur ce terrain qui est à la liberté et à la vie ce que le pétrole est à la mer : la politique. S’engager dans la politique avec ses alliances nauséabondes, ses délégations, son agir « en se bouchant le nez », sa modération vers le « moins pire », son opportunisme écœurant, est aux antipodes des terrains où la subversion devrait être portée : dans la rue, parmi les exclus, les exploités et les rebelles, afin de répandre des idées émancipatrices, d’encourager la révolte, d’envisager des attaques toujours plus acérées contre l’ordre social. Combien il est inintéressant de perdre son temps et son énergie dans des discussions avec des requins politiques, des imposteurs autoritaires, des moutons suiveurs d’idéologies, des légalistes avec leurs bouches pleines de cadavres ; à quel point est préférable l’aventure de porter la subversion au cœur des situations sociales explosives, loin de toute médiation et représentation. La première perspective se termine inévitablement par des rassemblements, confus au niveau du contenu et en général démoralisateurs, devant le tribunal ; la deuxième part à la recherche de transformer un épisode de répression spécifique de compagnons et de luttes en énième mèche pour allumer la poudrière sociale.

 

Tôt ou tard

Inutile de faire l’autruche : tôt ou tard, tout individu révolté et toute lutte autonome se heurtera à la répression, que ce soit en encaissant des coups ou en reculant devant la menace de ceux-ci. Dès lors, il est certes important à garder la répression (dans le sens le plus large possible) présente à l’esprit, en discutant et en approfondissant idées et perspectives, voire de s’y préparer techniquement, mais toujours en la reliant avec l’ensemble des rapports sociaux et des tensions et conflits en leur sein. Aucun doute non plus sur la nécessité d’organiser le soutien matériel aux compagnons arrêtés ou incarcérés, sans que pour autant celle-ci dépasse le cadre de simple question technique.

Comprendre et continuer à considérer la répression simplement comme un obstacle, et non comme un mur infranchissable (et encore moins le plus important), n’est certes pas tâche facile. Et nous ne parlons pas uniquement des possibles années de taule, mais aussi tout ce qui a trait à la répression « préventive », la surveillance et les poursuites au sens large du terme. Aujourd’hui déjà et probablement demain encore plus, nous devrons faire appel à notre créativité et notre imagination pour briser l’étau répressif, mais ceci n’est, comme nous le disions auparavant, que dans une moindre mesure une question technique et de capacités : c’est surtout une question de perspectives, d’idées et de projectualités mises à l’épreuve, forgées dans la bataille au quotidien.

Pour finir, n’oublions jamais qu’en fin de compte, nos idées, nos méthodes et nos désirs demeurent à jamais incompréhensibles pour les chiens de garde de l’Etat, car ils ne saisiront jamais que des individus puissent s’organiser et s’associer librement et de manière antiautoritaire ; ils ne comprennent pas que tout être humain a la capacité et le choix, à tout moment, de se révolter, et que c’est d’ailleurs à cette capacité et à cette possibilité de choisir que les révolutionnaires devraient faire appel. Le marécage de la conflictualité sociale n’est donc pas une affaire militaire, technique et tactique, mais profondément et intrinsèquement sociale. Etendre ce marécage, ce qui revient à l’auto-organisation sociale du refus et de l’attaque de l’ordre social et de l’autorité, faire en sorte qu’elle puisse s’armer avec conscience et idées, est la meilleure façon de contrecarrer, voire de dépasser, la répression.

Et de toute façon… il n’y a rien à lâcher, c’est ma vie même que j’ai choisi de mettre en jeu ; mon jeu.

 

Publié dans Salto, subversion & anarchie, n° 2, novembre 2012 (Bruxelles).

 

1 Il ne s’agit ici pas des éventuels aspects « techniques » d’un procès, mais de l’attitude la plus fondamentale ou de l’éthique (le contenu) qui est à la base de tout un éventail d’expressions plus « concrètes » (les formes). Le contenu pointe le refus de se distancier de nos idées et pratiques subversives, ce qui peut se traduire devant un tribunal dans de nombreuses formes, allant du refus total (en refusant de se présenter devant le tribunal), en passant par se soustraire à la justice (en passant dans la clandestinité), par refuser de répondre à aucune question ou requête, jusqu’à « revendiquer » ses idées devant un juge (et aussi, de fait, dans la rue, dans le rapport social qui est à la base de la Justice, ce qui ne revient pas à se déclarer coupable de telle ou telle accusation). Enfin, il y a encore tout l’aspect strictement technique de la défense juridique (nécessairement selon la logique de la Justice même) qu’on peut laisser à un avocat, ou pas. Mais là non plus, nous ne pensons pas que « tout se vaut ». Pour commencer, il faut prendre en compte le refus selon nous fondamental, de prouver sa propre innocence en pointant d’autres (connus ou inconnus) comme les coupables. On peut aussi noter la différence fine, mais également fondamentale entre un avocat qui demande l’acquittement et un avocat qui répond à la question de la culpabilité (ou de l’innocence). Citer, comme c’est couramment le cas lors des procès, du « statut social » afin d’obtenir de la part du juge une certaine clémence, est clairement néfaste pour sa propre intégrité. Finalement, la tension éthique et subversive n’est pas la seule chose qui joue, il y a évidemment aussi les circonstances particulières, la nature des accusations et, ce qui pas la moindre des choses, les inclinaisons et préférences individuelles.

Sans relâche. A propos des récents coups répressifs contre les anarchistes et anti-autoritaires sur le territoire belge

PDF : Sans_relache

Petit rappel des faits

Depuis plusieurs années, différents coups de pression contre des anarchistes et des antiautoritaires sur le territoire belge se sont succédés. Les perquisitions qui ont eu lieu en septembre 2013 dans cinq domiciles à Bruxelles, Gand et Louvain en sont le dernier épisode. Fin mai, trois autres domiciles et la bibliothèque anarchiste Acrata avaient déjà été perquisitionnés. Ces initiatives de la juge d’instruction Isabelle Panou se situent dans le cadre d’une enquête pour « organisation terroriste, association de malfaiteurs et incendies volontaires », ouverte en 2008. Mais les forces répressives ne se sont pas limitées à ces perquisitions. A plusieurs reprises, elles ont cherché à recruter des mouchards pour espionner les activités d’anarchistes et d’anti-autoritaires. Elles ont eu recours aux « méthodes d’enquête extraordinaires », cachant notamment une caméra de vidéo-surveillance à l’intérieur de l’appartement de deux anarchistes bruxellois. Elles effectuent également des surveillances, dressent des rapports sur « la menace anarchiste », organisent des tracasseries administratives pour compliquer la vie des compagnons, passent des informations sur des individus à d’autres polices dans le monde, lancent des convocations pour des interrogatoires, publient de calomnies dans la presse etc. Plusieurs compagnons ont aussi fait de courts séjours de quelques semaines derrière les barreaux. Bref, en plaçant tous ces faits dans un cadre plus large, on comprend aisément que la répression cherche par plusieurs biais à freiner ou paralyser les pensées et les actes qui visent à détruire ce monde d’autorité. Cela ne nous amène néanmoins pas à parler d’un lourd climat répressif comme ce qu’on peut voir dans d’autres pays. Soyons clair sur ce point : c’est loin d’être le cas. De toute façon, il n’y a rien d’étonnant ou de particulier au fait que les forces de l’ordre aient des intentions malveillantes vis-à-vis des ennemis de l’autorité.

L’enquête vise vraisemblablement un certain nombre de luttes, d’agitations et d’initiatives, de plus ou moins forte intensité : la lutte contre la prison et la solidarité avec les mutineries dedans ; celle contre la construction du nouveau centre fermé à Steenokkerzeel et la machine à expulser ; les initiatives et attaques contre les veines de la ville-prison (construction de nouvelles lignes de train rapide RER autour de Bruxelles et transports en commun en général) ; l’agitation contre les huissiers, contre l’OTAN et sa présence à Bruxelles, contre les institutions européennes et les eurocrates ; ou encore la lutte contre la construction d’une maxi-prison à Bruxelles…

Où-en sommes nous ?

Si on peut se triturer les neurones pour analyser les manœuvres répressives de l’État, cela nous intéresse davantage de continuer à porter notre attention sur ce que nous pensons, ce que nous voulons et comptons faire pour critiquer ce monde de marchandises et de pouvoir, pour encourager la remise en question et le refus, pour diffuser la révolte contre tout ce qui nous opprime. En effet, au long de ces années, des luttes ont vu le jour, même si elles ont souvent été menées dans des conditions pas nécessairement très favorables et entourées par les marasmes de la résignation. Des idées corrosives ont été diffusées, discutées et partagées, des centaines d’actions, d’attaques et de sabotages – de toute forme, mais toujours hostile au pouvoir – ont parsemé des parcours de lutte et de révoltes. Des complicités ont été nouées, des solidarités se sont exprimées, des affinités se sont approfondies et à quelques reprises, on a pu voir le béton de l’oppression et de la soumission se fissurer.

Il va de soi que l’approfondissement et l’affûtage des idées anarchistes dans ces contrées n’ont pas échappé à l’attention des chiens de garde. La critique de la fixation quantitative et du fétichisme de l’organisation formelle, le refus de toute médiation et de toute représentation politique ont contribué à faire naître des espaces informels, affinitaires et autonomes, où les idées cherchent à aller main dans la main avec la pratique et l’offensive. C’est ainsi que des compagnons ont commencé à frayer, chacun et chacune, leur propre chemin pour affronter la domination, combattant les logiques politiciennes, refusant la paralysie de l’attente et armant leurs cerveaux et leurs mains pour détruire ce qui est juste intolérable. C’est la liaison passionnelle et individuelle entre idées et volontés, entre désirs et critiques qui les pousse à agir pour frapper les structures et les hommes de la domination au moment et de la manière qui leur semblent justes et opportuns, prônant en même temps le sabotage et l’attaque comme des moyens à la portée de toutes et de tous qui veulent se battre pour la liberté. Parfois ces compagnons ont rencontré, dans les rues ou dans des révoltes partagées, d’autres rebelles, d’autres réfractaires qui se battent à leur manière contre ce qui les opprime. Si le pouvoir pourrait bien avoir peur de quelque chose, c’est sans doute de la possibilité d’une contamination toujours plus vaste, d’idées et de pratiques ; de la reconnaissance réciproque entre rebelles et révoltés ; de la rencontre entre les différentes rébellions (dans les prisons, dans les quartiers, dans les camps de travail, dans les centres fermés, dans les camps d’éducation, dans les camps de récréation,…) qui perturbent encore de temps en temps le cauchemar d’une vie passée à bosser, consommer, subir et dormir.

Où en-sont eux ?

Il serait absurde de ne pas replacer les pressions contre les anarchistes et les antiautoritaires, contre leurs idées et leurs agitations, dans un cadre plus vaste. Si on se penche sur l’exemple de Bruxelles, capitale de l’Union européenne et carrefour de relations internationales, on voit clairement comment l’État et le capital sont en train d’intensifier leurs efforts et mettre le paquet pour perpétuer les rapports sociaux d’exploitation et d’oppression en adaptant l’environnement aux besoins du capital et du pouvoir, transformant la ville en prison à ciel ouvert pour contenir les révoltes et le dégoût d’une vie de galère. Les projets de construction de la plus grande taule de Belgique sur le territoire bruxellois ou du siège de l’OTAN, les extensions de la vidéo-surveillance et du tissu répressif (nouveaux commissariats, plus d’uniformes de toute sorte dans la rue, militarisation des transports en commun, opérations coups de poings dans les quartiers pauvres) vont main dans la main avec une politique réfléchie et planifiée d’enclavement ou de gentrification des quartiers populaires, de réaménagement de la ville à coups de grands projets immobiliers et commerciaux, d’extension de la zone européenne et des services pour eurocrates, diplomates et capitalistes, de construction de nouveaux axes de transport comme le RER afin d’huiler la circulation de la marchandise et de l’homme-marchandise. Il ne serait pas exagérer de parler d’une intensification de la guerre que mène le pouvoir depuis toujours contre les basses couches de la population.

Malgré son arrogance, le pouvoir se rend bien compte que tout cela comporte aussi des risques de tensions et de révoltes, voire d’explosions incontrôlables comme on a pu les voir dans d’autres pays ces dernières années. Malgré toute la propagande étatique et la drogue marchande, malgré l’intoxication technologique et l’abrutissement rampant, le spectre de l’insurrection n’est plus simplement une vieille chose appartenant à un passé révolu, il pointe à nouveau timidement son nez dans les cœurs et les cerveaux de ceux qui sont las de subir. C’est bien pour cela que l’État cible ceux qui parlent d’insurrection, ici comme ailleurs, et qui s’obstinent à penser et à agir à la première personne pour saper l’édifice pourri de la société autoritaire. C’est bien pour cela que l’Etat cherche à réduire au silence ceux qui parlent de révolte et de liberté, de solidarité et de révolution, c’est pour cela que l’Etat pourrait considérer utile de mettre à l’écart quelques révoltés, d’un côté pour limiter leur capacités de nuire en mots et en actes, de l’autre pour effrayer aussi tous les autres.

Jamais innocents

Face à ces coups de pression, nos pensées s’envolent immédiatement vers les nombreux compagnons ailleurs dans le monde qui se trouvent derrière les barreaux, aux révoltés assassinés par le pouvoir, aux rebelles qui affrontent au quotidien le monstre étatique et capitaliste, aux réfractaires des règles de cette société pourrie qui restent debout, dans les cachots des geôles comme dans les couloirs des villes-prison. Cela nous aide à comprendre que jamais il ne pourra y avoir d’entente ou de trêve entre ceux qui se battent contre la réduction de nos vies à celles d’esclaves de la marchandise, de l’autorité, du travail, des bagnes et ceux qui sont au pouvoir aidés de tous leurs défenseurs. En ce sens-là, nous ne pourrons jamais être innocents.

Si la menace de la prison est à affronter, il s’agit également de rejeter obstinément les sollicitations du pouvoir, même et voire de façon encore plus déterminée, quand nos luttes et idées attirent l’attention malveillante des défenseurs de l’ordre. Pour nous, affronter la répression fait partie de nos révoltes et de nos luttes et nous savons que le compromis ou l’acceptation (fût-elle temporaire ou circonstancielle) des médiations ou des pragmatismes politiques neutraliseraient la charge subversive de nos idées et de nos pratiques. Il ne s’agit pas là d’une attitude de sacrifice ou de martyre, mais d’une recherche de cohérence entre la pensée et les actes à laquelle personne ne saurait nous faire renoncer.

Comme le disaient récemment des compagnons uruguayens confrontés à la répression ces derniers temps dans un texte, les défenseurs de l’ordre sont toujours à la recherche d’eux-mêmes. Là où il y a tension subversive, affinité, solidarité, individualité, ils cherchent organisation structurée, hiérarchies, chefs et stratégies politiques. Là où il y a sabotage et refus, violence révolutionnaire et révoltes enragés, auto-organisation et initiative individuelle, ils parlent de terrorisme, de menaces à contenir et d’association de malfaiteurs, tandis qu’en vérité, ce sont eux qui terrorisent les exploités et les opprimés, ce sont eux qui menacent les gens au quotidien pour les forcer à rester dans le rang, ce sont eux qui sacrifient tant de vies sur l’autel du profit et du pouvoir. Au fond, ils sont incapables de comprendre quoi que ce soit des idées antiautoritaires, car pour comprendre les pensées et les désirs de quelqu’un, il faut au moins les avoir effleurés, ressentis ou imaginés soi-même. Comme leur horizon n’est que pouvoir, loi et autorité, ils seront toujours à peu près aveugles dans les contrées de l’anarchie et de la subversion. Face aux refus des compagnons de collaborer de quelque manière que ce soit à leur œuvre répressive, face à l’attitude de mépris envers ceux qui protègent l’ordre établi, les chiens de garde restent en effet bien seuls dans leur univers répressif. Cela ne les empêche certainement pas de réaliser quelques coups, mais ils devront marcher à tâtons dans des contrées hostiles où personne ne cherchera à communiquer avec eux, tandis que le dialogue sera ouvert avec les révoltes et les potentiels complices dans la bataille contre toute autorité.

On ne lâchera rien

Si les coups de pression peuvent aussi amener leur lot de découragements ou de craintes, nous souhaiterions plutôt tendre vers une affirmation de nos idées et de nos pratiques. Nous sommes là et on ne lâchera rien. Si nous restons muets face au pouvoir, nous adressons par contre quelques mots d’encouragement et de solidarité à tous les compagnons et révoltés. Restons sur la voie du conflit, persistons dans notre choix pour la révolte et l’attaque, continuons à arracher le masque de chimère de la paix sociale. Si le pouvoir compte transformer tout en cimetière social, on continuera à brûler dans l’ombre des rapports aliénés et autoritaires, à se griser en perturbant la monotonie que le pouvoir voudrait imposer, à répandre le virus de la révolte et la volonté de vivre dans ce monde mortifère.

Entre s’écraser devant le pouvoir ou succomber au cannibalisme social et lutter à corps perdu pour ce qui enflamme nos cœurs, il n’y a pas de doute sur les chemins que nous continuerons à parcourir.

Des individualités anarchistes
Bruxelles, octobre 2013

Ils cherchent des mouchards, ils ne trouveront que des mollards

Ces dernières semaines (juin 2011), plusieurs compagnons ont été approchés ou appelés par des types douteux qui leur proposaient sans détours de filer des informations sur le mouvement anarchiste et qui cherchaient à les faire chanter. Il n’est dès lors pas exclu que cela fasse déjà un bon moment que les chiens de garde de l’Etat cherchent à recruter des mouchards.

Nous n’avons jamais été dupes quant au fait que notre lutte contre toute autorité serait facile ; que nous ne rencontrerions pas d’obstacles répressifs sur nos chemins. Par ailleurs, nous n’avons jamais cru non plus que l’Etat se la jouait et se la jouerait fair-play. L’actuelle quête de mouchards, le sale chantage qu’ils emploient pour faire pressions sur des compagnons, les pauvres intrusions dans les maisons des compagnons pour y installer des appareils d’écoute et de vidéosurveillance cachés, les lâches tabassages de compagnons menottés dans les cellules des commissariats : voilà donc un chemin qu’ils sont en train d’explorer pour essayer de briser le mouvement des ennemis de toute autorité.

Ces pratiques sont à l’image des mécanismes qui traversent l’ensemble de la société. Du chantage salarial à la menace de la prison, de la mentalité -malheureusement trop répandue- de balance à la lutte des places pour gravir les barreaux de l’échelle sociale. Les actuelles tentatives d’intimidation sont donc à la hauteur de cette société que nous combattons, et elles ne provoquent qu’une seule chose chez nous : un profond raclement de gorge pour leur cracher à la gueule.

De tous temps et en tous lieux, les activités des anarchistes et des antiautoritaires, aussi modestes soient-elles, ont attiré l’attention malveillante de l’Etat, même en Belgique. Les possibilités que nos révoltes rencontrent celles des autres rebelles de cette société leur foutent les nerfs. La diffusion d’idées séditieuses et éprises de liberté dans un climat social toujours plus instable leur paraît chaque jour plus intolérable ; la multiplicité de l’action directe, de l’auto-organisation et des pratiques d’attaques incontrôlables et diffuses échappe à leur emprise pacificatrice. Alors ce n’est pas une coïncidence s’ils n’ont pas seulement recours à des lourdes peines de prison, mais qu’ils essayent aussi de créer des fausses divisions et autres séparations (« les bons » et « les méchants » ; les « coupables » et les « innocents ») pour tenter de restreindre la diversité et la richesse des pratiques et des angles d’attaque et couper les liens de solidarité et de complicité.

On ne le répétera jamais assez : soutenons-nous les uns les autres via une attitude d’insoumission totale et de non-collaboration face à la justice, à ses limiers et à ses amis-journaleux. Il n’y a rien à leur dire, il n’y a rien à discuter avec eux. Ils sont passés maîtres dans l’art d’utiliser et d’abuser tout ce que tu dis à des fins répressives. Il est important de faire gaffe à ce que personne ne se retrouve seul face à une horde de ces chiens de garde, face à d’éventuels chantages et menaces, face à l’intimidation judiciaire. Continuer à prendre nous-mêmes l’initiative ; continuer à déterminer nous-mêmes ce dont nous voulons discuter et comment nous voulons lutter, aussi en des périodes de menace répressive plus intense, est la réponse la plus forte que nous puissions donner. Il n’y a pas à rechercher ou à accepter le dialogue avec le Pouvoir et ses sbires ; le mutisme des rebelles face au pouvoir et le fait de maintenir ouvert ou conquérir l’espace de discussion libre avec d’autres révoltés et mécontents sont certainement des lignes de défense très fortes.

En aucun cas, nous ne devrions perdre le nord à la vue des manœuvres répressives. Ces manœuvres étaient de toute façon déjà en cours. Que ce soit contre des antiautoritaires ou contre d’autres rebelles (n’oublions pas par exemple ces réfractaires du système qui se retrouvent déjà derrière les barreaux, voire en isolement). Et ces manœuvres existeront aussi longtemps que l’Etat restera debout. Notre attention devrait continuer à aller vers ce qui nous préoccupe vraiment : répandre les idées anarchistes et antiautoritaires, soutenir et développer des expériences d’auto-organisation et d’action directe, jeter de l’huile sur le feu des troubles sociaux – chacun.e à sa manière et selon sa propre cohérence antiautoritaire. Voilà pourquoi nous sommes des rebelles, des anarchistes, des insoumis à toute autorité ; voilà pourquoi nous serons toujours sur le pied de guerre avec cette société, ses institutions, ses représentants, ses protecteurs.

Aucune collaboration avec la Justice et le Pouvoir ! Aucun dialogue avec les chiens de garde de cette société putride ! Pour la révolte, la solidarité et l’anarchie !

Juin 2011,
Des ennemis de toute autorité.

 

Rappel à l’ordre. Sur la certitude et l’incertitude, la répression et la lutte pour la liberté

Certitude

Celui qui force son propre chemin, qui se libère de la cage, doit bien rapidement affronter une série de doigts accusateurs. Car tu peux être rebelle, mais pas trop. Tu peux faire les choses un peu différemment, mais sans excès. Tu peux construire tes propres pensées, mais elles doivent encore bien rentrer dans le cadre. Tu peux lutter, mais pas de façon trop offensive. Tu peux t’engager pour une « bonne cause », mais se battre passionnément pour un autre monde est hautement suspect.

Il faut avoir de la confiance en soi, du courage, mais surtout de la volonté d’indépendance pour conquérir ton chemin individuel dans une société qui signale que c’est toujours mieux de faire comme il sied afin de préserver l’hypocrisie de la paix sociale. Mais il ne s’agit pas ici de ces héros sans peurs de la télévision, qui depuis leur naissance ont reçu l’héroïcité, comme si elle était un privilège. Ce dont il s’agit ici, c’est le chemin que tu parcoures. Dépasser ses propres peurs, entrer en combat avec les milliers de moralismes autour de toi, sans parler encore du diktat de la nécessité économique et l’obligation de travailler. C’est sur le parcours de rébellion et de révolte que croît la confiance en toi, ton courage, ta volonté d’indépendance. Tout comme dans la conquête de liberté, la grande partie de la joie n’est pas dans les « résultats effectifs », mais dans le sentiment d’être sur la bonne route, que les sentiments, pensées et agissements correspondent… A chaque pas, la confiance en soi croît, la conviction qu’il est possible de forger son propre chemin, de passer à l’attaque, d’aller à contre courant de cette société. Tu acquières alors la confiance dans le fait que ça ne demande pas tant de courage, qu’il n’est pas aussi difficile de se révolter, qu’il est surtout enrichissant. Que c’est un défi de choisir de refuser la certitude qu’un autre ou la société t’offres et de choisir par contre pour ta propre cohérence.

Car il faut mieux se méfier de quelqu’un qui t’offres une série de certitudes. Ça me semble tout simplement un réflexe sain. Celui qui te dit : fait comme je te le dis, pense comme moi et sens ce que je te fais sentir et tout ira bien, il faut mieux l’éviter comme la peste. Le pouvoir fera toujours miroiter que si tu fais comme ci ou comme ça, tout ira pour le mieux, que tu auras droit à la certitude dans la vie. Offrir de la certitude est son arme, offrir quelque chose qui se trouve hors de toi-même et à laquelle tu peux t’agripper. En même temps, il défonce jour après jour le développement de ton confiance propre. Il y a une différence fondamentale entre être sûr de ce que tu penses, fais, désires, veux et te sentir sûr quand tu penses, fais, etc. ce que la société demande de toi.

Des figures autoritaires veulent toujours que toute le monde et tout se ressemble, notamment à l’image qu’ils veulent faire dominer. En temps d’incertitude, les tendances autoritaires montent toujours à la surface. En temps de crises, par exemple le nationalisme ou d’autres sortes de fois très normatives, peuvent prospérer. Celui qui se laisse absorber comme élément dans l’ensemble, peut de nouveau se sentir sûr, protégé par quelque chose qui est simplement hors de lui-même (par exemple, un peuple ou une communauté). Il n’a plus besoin de réfléchir, il peut simplement suivre et croire que tout ira probablement pour le mieux. Et ça arrange alors bien le pouvoir, car celui qui cesse de réfléchir, est plus facile à exploiter.

Quand une lutte est en train de croître, on peut être confronté à un problème qui est très différent, mais montre quand-même quelque chose de semblable. Quand une lutte croît, toujours plus de gens y adhèrent. Etre nombreux offre un faux sentiment de certitude et de légitimation normative qui dépasse la confiance en soi. En plus, il donne le faux sentiment de sens, car pourquoi ça n’aurait du sens de se révolter que quand on est nombreux ?[1] Et si ensuite on se retrouve à moins, redevient-il alors insensé de lutter ? Quand une lutte a passée son apogée, il n’est pas surprenant que tout éclate. Tout le monde se repose de nouveau les questions  individuellement et regarde dans le miroir. En fait, qu’est-ce que je veux ? Si s’ajoute à cela une menace répressive, ces questions deviennent encore plus profondes. On se retrouver là devant des choix qui ne sont plus « facultatifs », mais qui exigent des efforts et de la responsabilité.

 

 

Incertitude

 

Si je parle d’incertitude, je veux dire d’un côté le sentiment que tu ne peux rien faire, que tu es bête, que tu ne sais plus ce que tu veux, que tu ne comprends plus tes désirs,… Ce sentiment à l’origine de multiples peurs, le sentiment qui te dit qu’il faut mieux ne plus essayer du tout par peur de ne pas réussir. On oublie que c’est le chemin même, dans l’essayer et l’essayer autre chose, qui contient bien la moitié du plaisir. Un résultat donne le sentiment de satisfaction que nous ne taxerons pas de moralement répréhensible, mais ceci est lié avec le plaisir de comment on y est arrivé. Si le résultat est obtenu sans aucun plaisir, la satisfaction repose uniquement sur le sentiment d’être libéré d’une charge et d’appréciation sociale. La confiance en soi que cela peut produire, est fausse, car elle ne provient pas de sa propre cohérence, de ses propres choix. Quelqu’un qui exerce du pouvoir sur toi, fera toujours en sorte de te faire sentir incertain à propos de tes choix et de ton chemin. Par accusations et punitions, prêches morales, chantages et pressions, il tentera de te remettre le collier. Car faire douter quelqu’un et le plonger dans l’incertitude, est le meilleur moyen pour le dominer, pour lui faire avaler une foi et de lui faire accepter les commandements qui vont avec.

De l’autre côté, je parle du sentiment de ne pas savoir ce que l’avenir amènera, même sur ce qui va se passer demain. C’est une sorte de menace suspendue sur la vie. L’incertitude est facilitée par des menaces. Si tu es dépendant d’un tyran, il faut mieux ne pas broncher, car qui sait ce qui pourrait t’arriver. Tu peux remplir ta tête avec des calculs comment mieux t’y prendre afin d’éviter que le maître ne se fâche, finissant quasiment dans la paralysie. Les menaces ne servent qu’un but : la coopération. Si tu te retrouves au comico, tu peux t’attendre à des menaces. On y joue avec les sentiments, on veut te faire sentir tellement petit que tu feras ce qu’ils désirent de toi. Que penses tu des gens qui doivent s’aplatir pour obtenir des papiers, tout simplement parce que la menace de déportation est suspendue au-dessus de leurs têtes ?

Aujourd’hui, nous vivons des temps incertains. Des temps où les visions du monde dominantes vacillent à échelle planétaire, où l’avenir n’est pas clair. L’illusion d’une vie où on nous arrange tout à condition de participer, est brisée en mille morceaux. Même celui qui a bossé sagement pendant des années, n’est plus sûr d’un avenir tranquille. A part les désastres économiques, il y a encore les désastres nucléaires, l’échauffement de la terre et toutes les catastrophes qu’il provoque. Ce sentiment d’incertitude est facile à exploiter, un sol fertile pour le Nouvel Ordre. Dans l’histoire, l’appel pour une main forte, un leader puissant avec des idées claires et un programme efficace, quelqu’un qui peut amener de la stabilité et de la certitude, a déjà retenti à de nombreuses reprises. S’il n’y a plus personne pour te dire ce qu’il faut faire pour en faire partie, ce qu’il faut faire pour réussir dans la vie, il y a pas mal de personnes qui ne savent plus où aller. En temps de crises, nombre de personnes recherchent une nouvelle vision du monde pour s’agripper, un nouveau sauveur à suivre. Ils veulent la tranquillité, pas cette tranquillité que provoque le sentiment de satisfaction, mais la tranquillité qui signifie de ne plus devoir réfléchir, de ne plus devoir chercher, de voir sa vie réglée et arrangé dans une société.

Le sentiment d’incertitude à propos de l’avenir peut produire une attitude défaitiste, amener à baisser les épaules. L’incertitude qu’on ressent maintenant, est projetée dans l’avenir et ainsi on tend à oublier que la confiance en soi et le sentiment de satisfaction par rapport à sa propre vie peuvent uniquement être trouvés dans le fait de tracer offensivement son propre chemin. Si nous savons ce que nous voulons, nous avons déjà à moitié gagné. Les temps de crises t’obligent à repenser les choses, les lignes sont démarquées plus vivement. Il faut choisir quel chemin prendre, quoi laisser derrière, qu’est-ce que tu emportes. L’incertitude qui vient avec des crises, provoque le réflexe de choisir pour le sol stable : une relation à laquelle s’agripper, un toit fixe au-dessus de ta tête, un boulot fixe avec un revenu garanti,… Une crise fait peur, et demande du courage, de la volonté et de la persévérance. Il est possible de sortir renforcé d’une crise, sans retourner vers les cages que tu as laissé derrière toi dans « tes années rebelles ». Parce que les questions en temps de crise sont posées dans des termes très clairs, et t’offrent donc aussi l’occasion d’y réfléchir très clairement.

 

Mais ça ne doit pas être tout négatif. Quoiqu’il soit évidemment impossible de faire de la divination et de prédire l’avenir, on peut bien formuler des hypothèses qui nous aiderons à décider sur quels terrains mener des combats dans les temps qui viennent. C’est que l’avenir provient du présent et ceux qui prétendent que la réalité est trop difficile à comprendre, répètent le discours du pouvoir. Ils veulent uniquement nous retenir de réfléchir, nous faire accepter notre esclavage où le maître dira ce qu’il nous faut penser et faire. Il est certes vrai que les visions du monde vacillantes et la crise économique renforcent l’appel aux leaders forts, mais en même temps, partout dans le monde, une bataille sociale se déroule. De luttes d’exploités en Chine, d’opprimés au Yémen, d’enragés en Grèce. Une situation de chaos au niveau des idées et légitimités dominantes, tout comme le chaos au niveau des pratiques offensives, est intéressante pour nous. Par la suite, on ne peut qu’espérer que ceux qui ont pris goût à la révolte, ne voudront plus jamais l’échanger pour la faute de goût de la vie prévisible, pour l’amertume de l’exploitation, pour la faim douloureuse et désespérée de la soumission. En Libye, des nouveaux tyrans ont accédé au pouvoir, mais un slogan de là-bas, « Nous ne retournerons pas au contrôle. Nous nous sommes libérés. Nous avons libéré notre pays. », nous dit que la lutte n’est pas finie, tout comme la flamme du soulèvement est loin d’être éteinte en Egypte ou en Tunisie, en Syrie ou au Bahreïn.

Certitude, incertitude, répression, lutte pour la liberté.

 

La crise que provoque la répression dans une lutte, amène bien des incertitudes. On remet beaucoup en question. Qu’est-ce que je suis en train de faire ? Est-ce bien ce que je veux? Qu’est-ce que je veux? Est-ce que ça vaut la peine? On sort les doigts accusateurs. La responsabilité pour sa propre vie est bien des fois rejetée sur d’autres. Nous avons beaucoup à y apprendre. Par exemple que l’enthousiasme et une dynamique sont nécessaires, mais pas suffisants. Qu’on a autant besoin d’autonomie, d’auto-organisation, de liens affinitaires. Ce sont nos seules garanties pour une lutte sans chefs, une lutte où chacun prend sa propre responsabilité.

Des liens affinitaires entre compagnons demandent beaucoup d’efforts, car il s’agit de relations de réciprocité. Ils sont à des kilomètres de distance des relations entre leaders et suiveurs. Ce sont des relations que tu ne peux pas consommer, où il faut toi-même mettre quelque chose en jeu, des relations où tu ne peux pas t’attendre à ce que tout vienne vers toi sans devoir faire d’efforts. Les relations affinitaires sont les éléments constructifs d’une lutte sans chefs, une lutte pour laquelle tu ne peux pas t’acheter une carte de membre, à laquelle tu ne peux pas adhérer passivement. Et c’est la même exigence qu’une société sans chefs : que les gens n’attendent pas une organisation, mais s’organiser eux-mêmes. Où les gens n’attendent pas jusqu’à ce que quelqu’un leur dise quoi faire, mais font leurs propres pas. Les anarchistes sont convaincus que la façon dont nous luttons doit déjà contenir les germes de la société future. On ne peut pas mener une lutte pour la liberté sans subvertir les rôles sociaux de la société actuelle.[2]

La répression montre du doigt accusateur et menace de punir et si tu ne fais pas gaffe, tu tombes dans le piège et tu te sentiras coupable des actes, désirs et idées les plus beaux et épris de liberté. Le pouvoir sème toujours l’incertitude à propos de soi-même, et cherche à empêcher que tu continues à te battre pour ce que tu veux, que tu continues à mettre des bâtons dans ses roues. Si tout simplement tu refuses de travailler, une armée de mesures répressives et de moralismes accusateurs est prête à te tomber dessus. Tout ce que dévie de la norme, tout ce qui est encore quelque peu libre ou incontrôlable, doit être défini et classifié comme indésirable. Et quand tu cèdes à l’incertitude, elle ne cesse de croître, et toutes les peurs et moralismes que tu avais vaincus, semblent de nouveau faits d’acier. Quand nous entamons une lutte, on doit se rendre compte que nous ne sommes pas libres dans ce monde, et que le combat pour la liberté se heurtera toujours aux barreaux de la société. Mais où est-ce que nous pouvons trouver les instruments indispensables à vaincre aussi cet obstacle ?

Si tu arrêtes de passer à l’offensive, si tu te caches, tu peux penser être sûr que rien ne t’arrivera. Tout comme si tu vas travailler afin de t’assurer une pension, une maison tranquille,… une vie sans risques, une vie sûre où tu ne repousses pas tes bornes, mais où tu les rapproche. Cette attitude ne diffère en rien de l’attitude de la fiancée donnée en mariage qui s’insurge, mais qui, à la fin, se résigne aux lois de son homme tyrannique et qui dépérit son désir de liberté, qui s’efface elle-même.

Notre seule certitude est la certitude que nous vivons notre propre révolte, que nous sommes sur nos arçons à nous, que nous donnons forme à nos propres pensées et pratiques. Notre certitude est que nous avons librement choisi nos liens, et que nous pouvons les défaire librement. Elle consiste à ce que nous avons fait, ce que nous avons voulu faire et que nous tentons toujours de faire, à savoir de faire correspondre les moyens de notre lutte avec ses buts. Que nous avons nos propres convictions et osons vivre selon elles. Que nous vivons avec les difficultés, mais surtout avec une joie profonde de nos choix offensifs.

 

phénix

2013

 


[1]              Par ceci, je ne veux pas du tout dire que lutter à nombreux est par essence mauvais. Etre nombreux ne veut pas forcément dire former une masse. Si nous sommes persuadés que l’individu est capable de développer sa propre autonomie, et nous en sommes convaincus car c’est bien le chemin que nous avons choisi nous-mêmes, on peut continuer à faire des tentatives de faire croître une lutte d’individus autonomes ayant pour but la destruction de toute autorité.

[2]              Il s’agit là par exemple du refus de la politique, le refus de la délégation et de la représentation.